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nouvelle ? Qui ne sait que le succès dans cet ordre d’actions dépend, non seulement et plus qu’on ne le croit, de certains événements physiques — calmes ou tempêtes, clémence ou rigueur des saisons, séries d’années abondantes ou désastreuses, — non seulement de toute la marche des affaires publiques dans les États du monde entier avec lesquels la civilisation nous lie diversement, mais encore de ces courants d’opinion qui entraînent les masses populaires, aussi soudains et aussi irrésistibles souvent que les mouvements de l’atmosphère et des eaux ? Comment dès lors ceux qui ont la charge de prendre au milieu de telles, incertitudes les résolutions décisives oseraint-ils en assumer la responsabilité s’ils n’étaient guidés, en même temps que par les probabilités qui résultent de leurs calculs, par des croyances, par des traditions, par des postulats pratiques, en un mot, que la conscience sociale leur impose ?

Ainsi l’art diffère de la science par la manière dont ses principes premiers sont acceptés de nos esprits et le genre de conviction qui les accompagne. Et quand même il pourrait prévoir tout l’avenir en y transportant le déterminisme rigoureux qui régit les phénomènes passés, il lui resterait une fonction propre qui est d’enchaîner les moyens aux fins et de poser les fins à poursuivre. Or comme le choix des fins entraîne celui des moyens, comme, selon que telle ou telle fin est préférée, les phénomènes sociaux avec les phénomènes cosmiques qui en dépendent prennent nécessairement un cours ou un autre, il lui faut tenir compte dans ses prévisions de ces initiatives du vouloir et admettre que l’avenir sera au moins dans une mesure ce qu’il plaira aux consciences agissantes de le faire. Qui les détermine à se proposer telles ou telles fins ? L’ordre seul du monde ? Non ; mais, en rapport avec cet ordre probable, leur tendance indéraci-