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du prestige que conservait la Révolution, des doctrines au nom desquelles ils avaient combattu maintes fois les théories révolutionnaires. La nation tout entière, ignorants et penseurs, par crainte du retour du régime féodal, se solidarisa de plus en plus avec les acheteurs des biens nationaux, comme tous les hommes portèrent dès lors des moustaches et des pantalons.

Dans l’abattement et la rancœur de tous, faisant contraste avec la troupe cyniquement joyeuse des aigrefins, il y avait en France un autre groupe satisfait. C’était l’armée. Elle avait perdu un million d’hommes. Les survivants étaient à peine vêtus, pieds nus ou en sabots, et manquaient de tout. Ils étaient heureux ! Peut-être les vieux adages qui nous disent que c’est une duperie pour les peuples de placer leur espoir de bonheur dans la conquête violente d’avantages matériels, ont-ils raison. Toujours est-il que les ouvriers plus ou moins intéressés, plus ou moins sincères de la révolution sociale étaient, à la fin de cette révolution, déçus, irrités, mécontents des autres et d’eux-mêmes, tandis que ceux qui s’étaient exposés à tous les périls et à toutes les souffrances pour la défendre, mais surtout pour défendre la patrie, souvent en dépit de leurs sentiments politiques, ceux-là étaient jeunes de cœur et rayonnaient. Leur cohésion, la décision de leur obéissance à un devoir clair et précis les distinguaient de la masse énervée et à bout d’agitations. Ils étaient l’autorité et la discipline. Ils sentaient en eux la seule force sociale survivante. On la sentait autour d’eux ; on les redoutait et on les adorait. C’était pour plaire à ces héros chamarrés et empanachés que les femmes se paraient de leurs toilettes transparentes aux anneaux d’or, unique et ironique vestige de tant d’imitations qui se croyaient plus sérieuses de l’antiquité : c’était leur manière à elles de retourner à la nature ! Le rêve du bonheur commun à la spartiate