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générale du prolétariat rural n’avait pas sensiblement changé. On avait plus de besoins. La promotion de nouveaux propriétaires, quelque large qu’elle apparaisse d’après les recherches les plus récentes, avait fait plus d’envieux que de satisfaits. D’ailleurs, à défaut de capital, que faire même d’un petit champ ? Et l’on avait vu les habitants de cinq communes voisines de Versailles, à qui un arpent de terre avait été attribué, se plaindre avec aigreur que cet arpent « leur fût plus onéreux que profitable, » et le vendre à des compagnies. Le passage de l’aisance à la richesse avait été plus fréquent que le passage de la misère à l’aisance. De 1795 à 1796, cette situation se révèle. Des bourgeois campagnards avaient gagné de grosses sommes dans la disette permanente en vendant le plus cher possible, en dépit du maximum, leurs bestiaux, leur blé, leur vin ; ils s’étaient largement arrondis. Des procureurs, des clercs d’huissiers, des praticiens de la basoche, des prêteurs sur gages, des commissaires à terriers qui avaient rempli insensiblement les comités révolutionnaires, étaient devenus des puissances et allaient faire souche quasi patricienne. Des affiliés aux bandes noires avaient réalisé ou escomptaient de magnifiques bénéfices. Les fournisseurs des armées battaient leur plein. L’agiotage, dont s’était plainte déjà l’Assemblée constituante à propos de la vente des biens nationaux[1], reprenait avec fureur sous toutes les formes ; des milliers de spéculateurs bourdonnaient chaque jour sur la terrasse des Tuile-

  1. Loi du 10 juillet 1791. — « Les biens nationaux, dit Louis Blanc, furent l’objet d’un véritable brigandage. » Hist. de la Révolution, vol. X, p. 420. Cf. Buonarroti, Conspiration… dite de Babeuf, t. I, p. 99. « Les biens nationaux affectés dès le commencement à l’extinction de la dette publique ancienne, représentée par les rentes sur l’État, et de la nouvelle, représentée par le papier-monnaie connu sous le nom d’assignats, furent horrible-