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des actions les plus importantes, est-il de plus en plus indéterminé et brumeux. Il faut agir cependant. Chaque résolution engage l’avenir d’une manière irrévocable et les circonstances où ses effets doivent se déployer nous sont inconnues ! Toute action grave est donc un risque, une tentative sur les ténèbres futures. Et c’est pourquoi la nature a voulu — c’est-à-dire que s’il en avait été autrement il n’y aurait point d’hommes — que les pratiques soient pour une part considérable formées dans la partie obscure des consciences collectives et que nous nous déterminions la plupart du temps pour des raisons qui nous échappent en vertu d’impulsions parfois nettement formulées, mais actuellement inaccessibles à l’analyse dans leurs causes comme dans leurs effets.

Insistons sur cette idée, dont vous sentez l’importance. Nous ne nions pas que les arts ne soient, pour une part, réglés sur des connaissances claires. La science ne sert après tout qu’à diriger la conduite et nous voyons les progrès de l’une suivre d’un pas régulier les progrès de l’autre. En fait, une multitude d’opérations dans les arts industriels et même dans les arts politiques s’accomplissent avec une sûreté suffisante : le succès suit généralement dans chaque ordre de phénomènes la découverte de leur loi. Il y a lieu par conséquent de chercher à déterminer la méthode des techniques gouvernementales comme de toutes les autres. Là comme ailleurs, l’art humain doit tendre toutes ses énergies pour restreindre le champ du hasard. Et nous croyons qu’une technique de l’action se placera un jour à côté de la logique de la spéculation. Mais il ne faut pas non plus méconnaître la profonde distinction qui sépare les deux ordres. Si la science enfante des applications heureuses, il arrive aussi souvent que des inventions pratiques dues sinon à des ignorants, du moins à des hommes de peu de science,