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arrêtent pour première mesure révolutionnaire de périr plutôt que de laisser porter atteinte aux propriétés. Cette proposition est adoptée avec un tel enthousiasme, dit un témoin, qu’on demande que le fait soit consigné dans le procès-verbal et qu’on nomme des commissaires pour rédiger le serment qui a été prêté, pour qu’il soit imprimé et placardé dès ce soir dans tout Paris. » Quel est le citoyen chargé de cette rédaction ? C’est le citoyen Boissel.

On voit donc que dans leur attitude en face de la propriété et du problème social, les différents partis révolutionnaires girondins, jacobins, hébertistes, anarchistes se réglaient sur la même doctrine générale et que cette doctrine est celle des philosophes. Tous regardaient le partage des biens par parties égales entre les individus comme un idéal conforme à l’état de nature, dont l’application peut être différée par la méchanceté des hommes, mais vers lequel toute politique vraiment « républicaine, » au sens qu’on donnait alors à ce mot, doit être vigoureusement orientée. Dès le 7 septembre 1792, Chabot plaidant devant les Jacobins en faveur de Marat, expliquait nettement la raison de cette unanimité et de ces divergences : « Quant au système du partage des terres qu’on lui impute, disait Chabot, il a trop mauvaise idée des mœurs de ses concitoyens pour être tenté de taire jamais une telle proposition, car le partage des terres et des propriétés ne peut avoir lieu qu’au milieu d’hommes parfaitement purs et vertueux[1]. » Chabot comme Fauchet et Jacques Roux était un ancien théologien ; avec tous ses maîtres, avec les métaphysiciens du xviiie siècle et de la Révolution il regardait l’état de nature comme l’état le plus parfait et le plus heureux, et par conséquent il ne pouvait attribuer

  1. Babeuf invoquera la même distinction dans sa Défense.