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départements contre la Commune, il lui parut d’autant plus nécessaire d’affirmer la propriété individuelle qu’elle ne cessait de lui porter de plus graves atteintes.

Pourquoi, dit-on, Robespierre ne s’est-il pas opposé, lui qui était tout-puissant alors, à l’adoption de l’article rédigé par Condorcet : « L’homme est maître de disposer à son gré de ses biens, de ses capitaux, de ses revenus et de son industrie ? » N’a-t-il pas voulu en combattant aux Jacobins cette rédaction conservatrice faire une avance aux Hébertistes dont il souhaitait l’alliance dans sa lutte contre les Girondins et n’est-il pas revenu, en la laissant adopter par la Convention, à sa véritable pensée ? Il y a contre cette interprétation des faits une raison péremptoire. Robespierre avait déjà exprimé, comme nous venons de le montrer, sa conception de la propriété limitée en décembre 1792. La division des biens de chacun en deux portions, l’une qui reste commune jusqu’à complète satisfaction des besoins des indigents, l’autre qui est octroyée par l’Etat à l’individu, est sa doctrine constante et qui ressort de tous ses discours et de tous ses écrits. C’est le silence gardé par lui lors du vote qui allait consacrer la rédaction de Condorcet (23 juin), qui est une attitude nouvelle à expliquer par les circonstances. Or on sait que la Constitution fut votée à la hâte pour conjurer la révolte générale des départements après les journées du 31 mai et du 2 juin. Robespierre, effrayé par la victoire de la Commune, n’avait pas moins besoin alors de ménager la Plaine qu’il n’avait eu intérêt à se concilier les Hébertistes quelques mois auparavant. Il fut même surpris de ne pas voir la fraction modérée voter avec plus d’enthousiasme une constitution d’où il avait consenti à écarter tout ce qui pouvait blesser les susceptibilités de ce parti et il l’en rudoya sévèrement. D’ailleurs les obligations de l’Etat envers les indigents