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autrement ; la souveraineté de l’Etat comme répartiteur des propriétés selon les exigences du droit individuel, est un des dogmes fondamentaux de la philosophie de ce temps.

Hors les Physiocrates, les théoriciens de la politique au xviiie siècle acceptaient donc comme autant de vérités évidentes ces trois propositions dont ils ne voyaient pas le désaccord : 1° la propriété doit rester individuelle ; 2º les propriétés doivent être égales ; 3° l’Etat est le régulateur de la propriété individuelle ; il lui appartient de maintenir ou de rétablir l’égalité. C’est ce qu’on trouve au fond de tous les programmes de la Révolution.

Seulement les philosophes voulaient qu’on maintînt l’égalité autant que possible et par des moyens doux. De telles réserves et de tels ménagements ne sont pas le propre des révolutions. D’ailleurs, eux-mêmes préconisaient ces réserves et ces ménagements sur un ton de colère, et c’est le ton qui donne aux paroles leur vrai sens. Le mouvement, comme toujours, a commencé au sein de la classe bourgeoise déjà émancipée et en train de s’emparer des domaines chargés d’hypothèques, du clergé et de la noblesse. Mais qu’on juge de ce que devaient être les sentiments des pauvres, quand on leur apprenait que toute richesse est une usurpation ! De père en fils, ils avaient souffert les maux inouïs que vous savez il y avait eu depuis le début du siècle famine sur famine ; dès qu’on sut que l’usurpation pouvait cesser si la nation souveraine le voulait, que la liberté et l’égalité étaient immédiatement réalisables, on y tendit avec une passion anxieuse, exaspérée par la menace d’un retour offensif des anciens propriétaires. Le bonheur était là, il n’y avait qu’à vouloir pour le saisir l’espoir et la crainte, les convoitises et les haines se déchaînèrent dans les cœurs. Une fois en train, au lieu de s’en tenir au maintien de l’égalité