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lement, clergé, communes, corporations, qui prétendaient tous à la souveraineté dans leur sphère. La monarchie avait déjà pu détruire à son profit non seulement certains hauts barons, non seulement certaines corporations expirantes, mais même le corps redoutable de la Compagnie de Jésus. La Nation pourra faire davantage. Elle disposera souverainement, selon Rousseau et ses nombreux admirateurs, de toutes les propriétés. Et pourquoi ? Parce que le droit des individus à la satisfaction de leurs besoins est absolu et que si l’Etat issu du contrat ne se chargeait pas de maintenir ou de rétablir l’égalité, s’il n’était pas « la mesure, la règle, le frein » (Rousseau) des prétentions de chacun à l’accumulation, cause de la misère, il ne justifierait pas l’abandon de l’état de nature et manquerait à la fonction pour laquelle il a été institué. Il est le ministre de la justice, l’instrument de l’égalité, le défenseur des droits de l’individu, ou il n’est rien[1]. Rousseau, nous l’avons vu, préconise certains ménagements. Il ne veut pas qu’on « enlève leurs trésors à leurs possesseurs » actuels. L’action de la loi est, selon lui, préventive, et l’impôt progressif, les lois somptuaires ont surtout pour but d’empêcher les accumulations dans l’avenir, du moins au sein des vieilles sociétés. Mais il prescrit nettement à l’Etat, quel que soit le moyen d’exécution adopté, de « rapprocher les degrés extrêmes autant qu’il est possible, » de ne « souffrir ni des gens opulents, ni des gueux. » Toute la troisième partie de l’article Economie (1755) est consacrée à l’exposé des moyens par lesquels la politique doit subordonner les intérêts à la vertu dans cette question des subsistances. Ni Montesquieu, ni Mably, encore moins Morelly, dont on attribuait l’ouvrage à Diderot, ne pensent

  1. Telle sera, ou le verra, presque textuellement la doctrine de Babeuf.