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le demi-propriétaire appelé à formuler ses vœux dans les campagnes où l’influence des philosophes n’avait pas pénétré. Plus près de Paris, on proteste contre les grandes propriétés et les grandes fermes, autour de Versailles on demande sans détour la vente par petits lots du domaine royal. On a souvent décrit la poussée énergique du tiersétat vers la propriété territoriale pendant la seconde partie du xviiie siècle. C’était surtout chez la petite bourgeoisie rurale que cette convoitise de la terre atteignait un degré aigu : moins le but est lointain, plus les obstacles irritent. Mais si les non-propriétaires étaient absents des assemblées, et trop misérables d’ailleurs pour croire que leur condition pût changer, les philosophes et les politiques élevaient la voix en leur nom. Et comme la terre était alors le type de propriété le plus connu, comme un homme aisé était pour la majorité un homme qui avait des terres, on réclamait pour les pauvres une part de ce sol autrefois commun et méchamment dérobé à la communauté par les ancêtres des propriétaires actuels. Ainsi le mouvement socialiste du siècle aboutissait à un programme d’appropriation pour une classe d’individus, c’est-à-dire à une menace d’expropriation pour les autres, puisque on ne pouvait donner des terres aux « cinq millions de pauvres » (ailleurs on parle de dix-huit et de vingt-cinq millions), dont on prenait en main la cause, sans enlever ces terres quelque part à des gens ou à des corps qui en étaient jusqu’alors légalement détenteurs.

Telle est la marche ordinaire des révolutions sociales. Le communisme — le collectivisme n’en est que la forme récente adaptée au régime industriel — n’est qu’un symbole et un symptôme : il n’à point de place dans la réalité moderne. Il est le prélude de l’expropriation. En condamnant la propriété en général, il prépare, quelquefois sans le vouloir expressément, la suppression de la propriété des