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l’Etat en matière économique consiste à maintenir la vertu politique, c’est-à-dire à empêcher l’extrême richesse et l’extrême pauvreté, également contraires à la liberté telle qu’il l’entend. Plus tard encore (Constitution de la Corse) il distingue nettement le domaine de l’Etat de celui des individus et veut seulement « subordonner au bien public » la propriété particulière dont la destruction lui semble impossible. Mably n’est pas plus intransigeant. Après avoir dit : « Je crois que les hommes sont sortis parfaitement égaux et parfaitement libres des mains de la nature et par conséquent sans droits les uns sur les autres : tout appartenait à chacun d’eux ; tout homme était une espèce de monarque qui avait droit à la monarchie universelle, » il reconnaît qu’ « une fois la sottise du partage des biens consommée, il est chimérique de penser à rétablir l’égalité » (absolue). Il veut que le législateur louvoyé ; « il faut faire de la propriété la base de la société » pour arriver graduellement à en empêcher les excès. L’Etat de nature ne figure plus dans la croyance commune de la fin du siècle (avant 1789), que comme une justification suprême, d’ordre théorique, des remaniements que le régime actuel de la propriété nécessite et aussi comme le fondement du droit à l’insurrection armée qu’on appelle le retour à la nature. Au fond, ce qu’on veut, c’est la suppression de la classe indigente, mais comment ? Apparemment par un emprunt aux classes qui possèdent. Loin de songer à détruire la propriété en général, la masse la convoite. Cela, dit-on, ne se voit pas dans les cahiers ? Qu’y a-t-il autre chose dans la demande unanime de l’abolition des droits féodaux que l’aspiration à une propriété complète, remplaçant la propriété précaire et limitée du cultivateur censitaire ? Les prolétaires n’étaient pas électeurs ; leurs vœux ne figurent pas dans les cahiers. L’abolition des droits féôdaux était tout ce que pouvait souhaiter