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Elles nous conduisent de plus à cette réflexion : puisque nous ne savons pas la figure que nos efforts doivent donner au jour de demain, c’est donc que nous n’avons ni les uns ni les autres la vérité absolue dans l’ordre pratique. Peut-être même, à parler exactement, n’y a-t-il pas, dans cet ordre, de vérité du tout. Je me hâte d’expliquer ce mot. Veuillez remarquer que ce que nous faisons est choisi, non comme vrai, mais comme bon, que ce que nous évitons est écarté, non comme faux, mais comme mauvais, et que l’utilité ou la nocuité d’un acte ne peuvent être évaluées exactement que quand les répercussions les plus lointaines de cet acte sur toutes les consciences individuelles et sociales qu’il doit ébranler sont définitivement épuisées. Or ces répercussions vont à l’infini et pour les apprécier au moment où nous agissons, il nous faudrait non seulement les connaître dans leur détail, ce qui est impossible, mais encore nous mettre à la fois aux lieu et place de toutes ces consciences dont les intérêts sont opposés, car ce’qui est avantageux à l’une nuit à l’autre, et, comme première condition, sympathiser avec une multitude d’êtres qui n’existent pas encore, dont nous n’avons par suite aucune représentation, même confuse : double impossibilité !

Par exemple, ceux qui ont fait la Révolution française n’auraient pu apprécier scientifiquement la valeur de leurs résolutions que s’ils avaient pu en connaître les suites pour tout le temps qui s’est écoulé depuis, et pour tous les individus et toutes les nations qui en ont subi le contrecoup : problème presque insoluble pour ceux d’entre nous qui savent l’histoire de ces cent années, à plus forte raison pour nos pères qui ne pouvaient s’en faire la moindre idée. Et s’il nous est difficile de nous placer à la fois, pour obtenir une évaluation approximative des mérites ou des torts de cette grande entreprise politique, au point de vue