entre autres me paraît devoir se dégager des faits tels que je les entrevois ; c’est que la conscience sociale est le théâtre de mouvements dont le terme est très difficile à discerner pour les contemporains, et que, d’époque en époque, les nations, comme l’a bien dit Hartmann, veulent une chose et en exécutent une autre, en sorte que les doctrines pratiques les plus rationnelles ont toujours, vu l’ignorance où sont les individus de leur effet ultime, un côté inconscient. On ne sait vraiment pas ce qu’on veut quand on ne peut absolument pas prévoir les conséquences de ce qu’on fait.
Si l’on compare l’issue de la Révolution et l’état d’opinion qui lui a donné naissance, quel contraste entre les résultats et les projets ! On rêvait une Salente ou une Bétique ; on a préparé pour l’avenir une démocratie industrielle et commerçante. On voulait de petites communes rurales ; on a fait l’Empire. On avait l’âme cosmopolite ; on a commencé vingt ans de guerre. On rédigeait le Code de la nature avec la suppression de la propriété comme premier article ; on a fondé le Code civil. On croyait toucher de la main le bonheur absolu ; on a eu à traverser de longues années d’angoisses et, de détresse. La Révolution, en tant que changement politique, a, sans doute, indirectement, et surtout par un puissant effet d’opinion, amélioré le sort du travailleur manuel ; elle n’a pas guéri la misère ni détruit l’inégalité des fortunes. Elle a achevé de déplacer la richesse ; elle ne l’a pas abolie. C’était pourtant ce que ses instigateurs premiers et la plupart de ses chefs avaient à cœur autant que l’abolition de toute contrainte politique et l’affranchissement total des individus. Pour les peuples comme pour chacun de nous, il y a loin de la coupe aux lèvres. De telles observations, que la Révolution de 1848 nous donnera peut-être l’occasion de renouveler, ne sont pas inutiles à la théorie des crises sociales.