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Monarque accompli traçait un tableau lugubre de la misère des peuples et, appelant ceux-ci à la révolte, les poussait à égorger les monstres qui dévoraient leur substance[1]. » « Nous sommes trois contre un, écrit en 1788 Sylvain Maréchal, l’un des futurs doctrinaires de la conspiration de Babeuf ; notre intention est de rétablir les choses sur leur ancien pied, sur Fétat primitif, c’est-à-dire sur la plus parfaite et la plus légitime égalité. »

La condamnation de toute propriété dépassant une infime moyenne, la haine du riche sont au fond même de la doctrine que nous avons exposée. Rousseau, dès le Discours sur l’influence des lettres et des sciences, stigmatise les oisifs ; et quels sont les oisifs pour lui ? tous ceux qui ne travaillent pas de leurs mains et les savants eux-mêmes. La vertu, à ses yeux, n’a rien de commun avec les lumières ; il y a quelque part dans son œuvre (Lettres sur la vertu et le bonheur) un réquisitoire en règle contre la science et on sait que pour lui les livres ne servent de rien (Lettre au marquis de Mirabeau et Emile). Ailleurs (Constitution de la Corse), il déplore l’existence des villes mêmes « Elles sont nuisibles, dit-il expressément, au système que nous avons adopté. » C’est la civilisation tout entière qui est condamnée. Où s’arrête Rousseau dans cette proscription de ce qu’il appelle l’oisiveté et le luxe ? « On croit m’embarrasser, répond-il, en me demandant à quel point on doit bannir le luxe. Mon sentiment est qu’il n’en faut point du tout. Tout est source de mal au delà du nécessaire physique… Il y a cent à parier contre un que le premier qui porta des sabots était un homme punissable, à moins qu’il n’eût mal aux pieds » (Dernière réponse à M. Borde).

Par cela même que tout homme appliqué à la culture du

  1. F. Rocquain, l’Esprit révolutionnaire, etc., p. 351.