la structure de la société a l’arbitraire humain, et pour qui l’homme était partout et toujours le même, ne pouvaient que maudire les auteurs volontaires de tant de maux et préparer une éclatante expiation. On sait la haine de Rousseau contre les riches. En 1770, Helvétius écrivait « Le luxe excessif, qui presque partout accompagne le despotisme, suppose une nation déjà partagée en oppresseurs et oppressés, en voleurs et en volés. Mais si les voleurs forment le plus petit nombre, pourquoi ne succombent-ils pas sous les efforts du plus grand ? À quoi doivent-ils leur salut ? À l’impossibilité où se trouvent les volés de se donner le mot ! » À mesure qu’on s’approche de la Révolution cette haine devient de la fureur. Une guerre de brochures se déchaîne, où l’on entend des protestations indignées, des sommations impérieuses. Les idylles continuent en l’honneur de la vie rustique, mais il y en aura jusque sous la Terreur, et tel avait été précisément à l’origine l’idéal des communistes agraires. Elles sont un ressouvenir de la période esthétique par laquelle le mouvement avait commencé. Mais ce qui domine de plus en plus, c’est l’accent désespéré et irrité de la misère, c’est le cri de la faim. Comment ne pas s’irriter quand on souffre et qu’on croit que toute souffrance est le produit de la méchanceté et de l’égoïsme ; comment ne pas se révolter quand on est sûr que la société peut être, dès qu’on le voudra vraiment, changée de fond en comble et le bonheur originel rendu à l’humanité ? Maintes fois les révoltés se comptent comme à la veille d’une bataille. Dès 1770, c’était par toute la France un cri général et puissant contre la cherté du pain. Les placards séditieux se multipliaient dans Paris. On lisait dans l’un d’eux « Si l’on ne diminue le pain et si l’on ne met ordre aux affaires de l’Etat, nous saurons bien prendre notre parti ; nous sommes vingt contre une baïonnette. » En 1776 « le
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