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des lumières, la propagation des vérités évidentes, le progrès des sciences et des arts ; ils affirment la nécessité de la propriété individuelle ; ils maintiennent les grands États et la monarchie, tout en insistant sur les ressources de la liberté et sur l’efficacité de l’intérêt personnel comme aiguillon de l’activité productive et commerciale. Ils acceptent l’inégalité. La grande propriété leur paraît indispensable à la mise en valeur du sol dans l’intérêt même du public, de la nation tout entière. Les disciples de Rousseau, au contraire, placent le bonheur dans la vertu et la justice à l’exclusion de la richesse, comptant plus sur l’abstinence et le bon ménagement dans la consommation que sur la multiplication des produits pour la satisfaction des besoins. Ils proscrivent le commerce extérieur, à moins que la république ne s’en charge. Ils comptent pour atteindre leur but, qui est moral, sur une sorte de gestion publique de la moralité ; le gouvernement est investi par eux du rôle de modérateur des passions, ces ennemis éternels de l’austérité et de l’égalité républicaines. Car, à leurs yeux, il n’y a pas de progrès ; l’homme est partout et toujours le même quand il s’est écarté de sa nature, il ne peut y être ramené que par l’action de l’Etat, c’est-à-dire par l’éducation et les lois. L’Etat, propriétaire virtuel unique, établit ou la communauté ou l’égalité des biens ; comme la richesse est la source de toute corruption et de tout esclavage, il n’a qu’à en surveiller les accroissements et à la restreindre par une loi fiscale sur les héritages par des taxes progressives, pour maintenir la vertu. Il exerce un contrôle étroit sur toutes les manifestations de la vie sociale : travail, échange, épargne, luxe et mendicité, éducation, réjouissancés, au moyen de fonctionnaires auxquels il délègue sa souveraineté ; il impose ainsi aux institutions et jusqu’aux constructions destinées aux usages publics, une