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L’ART DE RICHARD WAGNER

son immense espoir. Issue de notre souffrance, notre foi se crée en quelque sorte son objet, ou plutôt se le manifeste à elle-même, le voit en pleine vie, déjà quittant l’Inaccessible pour descendre vers elle : « In lichter Waffen Scheine, ehx Ritter kam zu mir ! » A ce moment, elle ne craint plus le monde hostile, elle l’oublie ou le nie : le cri de son invocation était si fort qu’il a dépassé les horizons terrestres, franchi l’abîme qui sépare notre humanité du Montsalvat surnaturel que proclamera plus tard le Chevalier au Cygne, « le Pays lointain, inapprochable à vos pas — Das ferne Land, unnahbar euren Schritten… ï

Or, le Salut, rendu possible, nécessaire, par l’amour et par la foi, impose une condition à l’âme humaine ; l’Idéal de lumière, révélé à cette âme qui le désira si éperdùment, et qui ne pouvait être libérée que par lui, exige d’elle une promesse, le don d’elle-même, absolu, sans réserve ni reprise. L’âme délivrée par sa croyance n’a point à poser de questions : « Crois — et sois heureuse ! » C’est le devoir, et c’est le bonheur. Cette règle, Eisa l’acceptait d’avance en demandant le miracle, par le seul fait de sa prière, et Wagner a marqué ce point en ébauchant, dans le dernier appel à Dieu de la vierge sans défense, l’un des motifs de l’interdiction formulée plus tard par Lohengrin.

Et lorsque Lohengrin a révélé sa nature, lorsqu’il s’éloigne, pardonnant à Eisa, l’aimant encore, mais triste, im mortellement, de renoncer à elle et de n’avoir pu la rendre heureuse, ne fût-ce qu’un peu de temps ( « une année », dit le texte), nous avons la sensation profonde de l’Irréparable. Eisa est reine, justifiée, sans ennemis ; son frère lui est rendu, la paix durable va bénir ses états ; mais son amour a perdu son objet ; sans retour, la vision de sa foi s’est éteinte. Lohengrin est parti pour le saint royaume, pour le Gral de vérité, l’absolu lumineux que les hommes ne peuvent atteindre. Le malheur d’Eisa est plus grand qu’aux heures de sa première détresse. Tout espoir serait désormais sans but ; elle se voit seule ; elle