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juif, doivent être placées avant le temps de la grande vocation religieuse d’Israël. Dès lors, en effet, une profonde différence se fait sentir dans les créations poétiques du peuple hébreu. Ruth, Job, la Sulamite, la Femme forte, tous ces vieux types empreints d’une mâle vigueur, font place à des héroïnes pieuses, à des Judith, à des Esther, victimes dévouées de la foi qu’on leur a prêchée ; à de saints personnages, tels qu’Esdras, Néhémie ; à des peintures d’intérieur dévot, comme en présente le livre de Tobie. Il y a une distance infinie entre les compositions de cette époque de décadence et l’allure hardie de notre poëme. La fierté de la jeune républicaine des tribus du Nord et son dédain pour Salomon n’eussent plus eu de sens à une époque où presque tout Israël était renfermé à Jérusalem, et où Salomon était devenu un miracle de sagesse, le modèle d’un prince accompli. Comparez Esther et la Sulamite, par exemple. La première trouve tout simple de faire fortune en s’attirant les bonnes grâces d’un eunuque,