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moi, je puis lui vendre cher ma mort et singulièrement provoquer sa colère, tout petit que je sois. Avez-vous vu le taureau bondir sous la banderille de feu, le cheval écumer quand le taon le pique ? contre de si petites misères, à quoi servent à ces puissants animaux leur rage immense et leurs efforts désespérés ? — De même une indéclinable solidarité enchaîne notre grand ennemi à nous : nous le faisons souffrir et suer sang et eau ; les hommes sont les morpions de leur Créateur. Esclave et maître d’ailleurs ne sont pas dignes d’une expression plus recherchée. Tout en reconnaissant la Fatalité, parce que je ne puis la nier, je lutterai donc contre elle jusqu’à ce que mes forces m’abandonnent. — L’homme a ses droits contre l’univers : qu’il les fasse valoir !

Si Dieu est inexorable, pourquoi ne le serais-je pas ? Si l’ensemble des autres êtres est plus fort que moi, est-ce une raison pour que je n’use pas de ma force contre eux. Faites qu’Atlas ne se remue pas sous le poids du monde. Empêchez à Sisyphe de rouler son rocher, à la fourmi d’ébranler le feu qui l’étouffe… Alors je reconnaîtrai tout à la fois qu’il n’y a pas de Fatalité, que je ne la sens pas, et que l’instinct de ma conservation ne me raidit pas contre elle : alors je me condamnerai, vivant, à une immobilité stupide. Mais jusque-là, je reconnaîtrai la Fatalité, pare qu’il n’est pas possible que je sois aussi étendu et aussi puissant que l’Univers ; et je lutterai contre elle, parce qu’il n’est pas dans la nature de l’homme de se suicider.

Oh ! que nous sommes lâches avec tout notre orgueil ! Je le demande : l’homme fort qui se raidit contre un mal dont il connaît la puissance, n’a-t-il pas plus de courage que l’être efféminé qui se dissimule à plaisir la gravité de sa situation parce qu’il ne se sent pas la force de la vaincre par le sang-froid ?