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ginale d’un Eschyle et d’un Euripide… Et toutes ces expressions qui prétendent demeurer grecques en français ont le tort d’être trop grecques et de n’être pas assez françaises, et même elles ne sont pas suffisamment grecques pour qu’on les excuse d’être si peu françaises. Elles ne sont que de vains ornements, des oripeaux de pacotille…

Heureusement, Leconte de Lisle, grâce à son génie, a réalisé par ailleurs, en dépit de ces projets de reconstitution préhistorique, le poncif de la beauté grecque des âges classiques… il a donné à cette beauté plus de raideur qu’elle n’en comporte. Elle est plus souple, il l’a faite plus empesée. Mais une langue ferme et sûre, des vers pleins et d’une grave sonorité, des expressions nobles et magnifiques qui ne sont point accumulées, entassées, mais au contraire se préparent et s’appellent, l’austère et simple harmonie de la ligne, une éclatante netteté, une splendeur pour ainsi dire sculpturale. Il se comptait tellement dans l’effort de créer cette beauté régulière et pure en son ampleur, que malgré lui il développe le drame d’Eschyle au moment même où la rapidité haletante du dialogue est d’autant plus utile qu’elle est plus tragique. Quand Oreste est sur le point de tuer sa mère, il lui fait adresser des imprécations véhémentes et saccadées. Et Clytemnestre réplique en peu de mots que l’angoisse croissante fait se heurter… On est tout secoué par ce dialogue pathétique où Eschyle s’affirme dramaturge autant que poète. Leconte de Lisle adapte Eschyle ; mais il est à peine dramaturge, et il est poète on ne peut plus, il est poète magnifiquement. Alors, Oreste et Clytemnestre, avant que sous la contrainte de la fatalité celle-ci ne soit égorgée par celui-là, échangent des discours. Ils parlent longuement et leurs pro-