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L’AMI FRITZ.

— Bah ! interrompit Fritz, si la chose arrive… alors comme alors, il sera temps d’aviser. En attendant, je suis heureux, parfaitement heureux. Si je prenais maintenant une femme, et je me suppose de la chance, je suppose que ma femme soit excellente, bonne ménagère et tout ce qui s’ensuit, eh bien, David, il ne faudrait pas moins la mener promener de temps en temps, la conduire au bal de M. le bourgmestre ou de Mme la sous-préfète ; il faudrait changer mes habitudes, je ne pourrais plus aller le chapeau sur l’oreille, ou sur la nuque, la cravate un peu débraillée, il faudrait renoncer à la pipe… ce serait l’abomination de la désolation, je tremble rien que d’y penser. Tu vois que je raisonne mes petites affaires, aussi bien qu’un vieux rebbe qui prêche à la synagogue. Avant tout, tâchons d’être heureux.

— Tu raisonnes mal, Kobus.

— Comment ! je raisonne mal. Est-ce que le bonheur n’est pas notre but à tous ?

— Non, ce n’est pas notre but, sans cela, nous serions tous heureux : on ne verrait pas tant de misérables ; Dieu nous aurait donné les moyens de remplir notre but, il n’aurait eu qu’à le vouloir. Ainsi, Kobus, il veut que les oiseaux volent, et