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L’AMI FRITZ.

menton allongé sur le violon avec sentiment, l’archet frémissant sur les cordes avec amour, les paupières baissées, ses grands cheveux noirs, laineux, — recouverts du large feutre en loques, — tombant sur ses épaules comme la toison d’un mérinos, et ses narines aplaties sur sa grosse lèvre bleuâtre retroussée.

Il le vit ainsi, l’âme perdue dans sa musique ; et, près de lui, Kopel le bossu, noir comme un corbeau, ses longs doigts osseux, couleur de bronze, écarquillés sur les cordes de la basse, le genou rapiécé en avant et le soulier en lambeaux sur le plancher ; et, plus loin, le jeune Andrès, ses grands yeux noirs entourés de blanc, levés au plafond d’un air d’extase.

Fritz vit ces choses avec une émotion inexprimable.

Et maintenant, il faut que je vous dise pourquoi Iôsef venait lui faire de la musique au printemps, et pourquoi cela l’attendrissait.

Bien longtemps avant, un soir de Noël, Kobus se trouvait à la brasserie du Grand-Cerf. Il y avait trois pieds de neige dehors. Dans la grande salle, pleine de fumée grise, autour du grand fourneau de fonte, les fumeurs se tenaient debout ; tantôt l’un, tantôt l’autre s’écartait un peu vers la table,