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L’AMI FRITZ.

amour, sans s’en reconnaître lui-même indigne.

— Hé ! s’écria Hâan à l’autre table, comment peux-tu parler de cela, toi ? Tu n’as jamais été amoureux ; tu raisonnes de ces choses comme un aveugle des couleurs. »

Fritz, à cette apostrophe, resta tout interdit ; il regarda Hâan d’un œil terne, ayant l’air de vouloir lui répondre, et bredouilla quelques mots confus en avalant sa chope.

Plusieurs alors se mirent à rire. Mais aussitôt Kobus, relevant sa grosse tête, dont les cheveux s’ébouriffaient comme s’ils eussent été vivants, s’écria d’un air étrange :

« C’est vrai, je n’ai jamais été amoureux ! Mais si j’avais eu le bonheur de l’être, je me serais fait massacrer, plutôt que de renoncer à mon amoureuse, ou j’aurais exterminé l’autre.

— Oh ! oh ! fit Hâan d’un ton un peu moqueur, en battant les cartes, oh ! Kobus, tu n’aurais pas été si féroce.

— Pas si féroce ! dit-il les deux mains écarquillées. Nous sommes deux vieux amis, n’est-ce pas, Hâan ? Eh bien ! si j’étais amoureux, et si tu me paraissais seulement convoiter par la pensée celle que j’aurais choisie… je t’étranglerais ! »

En disant cela, ses yeux étaient rouges, il n’a-