Page:Erckmann-Chatrian - L’Ami Fritz.djvu/115

Cette page a été validée par deux contributeurs.
105
L’AMI FRITZ.

la rue des Juifs. C’était vieux comme Hunebourg ; on ne voyait là dedans que de grandes ombres grises, de hautes bâtisses décrépites, sillonnées de chéneaux rouillés ; et toute la Judée pendait aux lucarnes d’alentour, jusqu’à la cime des airs, ses bas troués, ses vieux jupons crasseux, ses culottes rapiécées, son linge filandreux. À tous les soupiraux apparaissaient des têtes branlantes, des bouches édentées, des nez et des mentons en carnaval ; on aurait dit que ces gens arrivaient de Ninive, de Babylone, ou qu’ils étaient réchappés de la captivité d’Égypte, tant ils paraissaient vieux.

Les eaux grasses des ménages suintaient le long des murs, et, pour dire la vérité, cela ne sentait pas bon.

À la porte de la cour se trouvait un mendiant chrétien, assis sur ses deux jambes croisées ; il avait la barbe longue de trois semaines, toute grise, les cheveux plats, et les favoris en crosse de pistolet ; c’était un ancien soldat de l’Empire : on l’appelait der Frantzoze[1].

Le vieux David demeurait au fond avec sa femme, la vieille Sourlé, toute ronde et toute grasse, — mais

  1. Le Français.