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pour donner des renseignements au besoin.

La veille, M. Goulden avait mis sa grande capote marron et sa belle perruque pour aller remonter l’horloge de M. le maire et celle du commandant de place. Il était revenu la mine riante et m’avait dit :

« Cela marchera… M. le maire et M. le commandant savent bien que tu es boiteux, c’est assez clair, que diable ! Ils m’ont répondu tout de suite : « Hé ! monsieur Goulden, ce jeune homme est boiteux, à quoi bon nous parler de lui ? Ne vous inquiétez de rien, ce ne sont pas des infirmes qu’il nous faut, ce sont des soldats. »

Ces paroles m’avaient mis du baume dans le sang, et cette nuit-là je dormis comme un bienheureux. Mais le lendemain la peur me reprit : je me représentai tout à coup combien de gens criblés de défauts partaient tout de même, et combien d’autres avaient l’indélicatesse de s’en inventer pour tromper le conseil, par exemple, d’avaler des choses nuisibles, afin de se rendre pâles, ou de se lier la jambe afin de se donner des varices ou de faire les sourds, les aveugles, les imbéciles. Et songeant à ces choses je frémis de n’être pas assez boiteux, et je résolus d’avoir aussi l’air minable. J’avais entendu dire que