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qu’à faire massacrer les derniers qui restent… On verra ! on verra !

— Au nom du Ciel ! tante Grédel, taisez-vous, parlez plus bas, lui dis-je en regardant la fenêtre, on pourrait vous entendre ; nous serions tous perdus.

— Eh bien, je parle pour qu’on m’entende, reprit-elle ; ton Napoléon ne me fait pas peur ; il a commencé par nous empêcher de parler, pour faire ce qu’il voudrait… mais tout cela va finir !… Quatre jeunes femmes vont perdre leurs maris rien que dans notre village, et dix pauvres garçons vont tout abandonner, malgré père et mère, malgré la justice, malgré le bon Dieu, malgré la religion… n’est-ce pas abominable ? »

Et comme je voulais répondre :

« Tiens, Joseph, dit-elle, tais-toi, cet homme-là n’a pas de cœur !… il finira mal !… Dieu s’est déjà montré cet hiver : il a vu qu’on avait plus peur d’un homme que de lui, que les mères elles-mêmes, comme du temps d’Hérode, n’osaient plus retenir la chair de leur chair, quand il la demandait pour le massacre ; alors il a fait venir le froid, et notre armée a péri… et tous ceux qui vont partir sont morts d’avance : Dieu est las ! Toi, tu ne partiras pas, me dit cette femme pleine d’entêtement, je ne veux pas que tu