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en entrant dans sa chambre. Ce pauvre vieux, aveugle et tout chauve, était assis dans le fauteuil derrière le fourneau, la tête penchée sur la poitrine, et ses grands yeux blancs écarquillés comme s’il avait vu ses trois garçons étendus à ses pieds ; il ne disait rien, mais de grosses gouttes de sueur coulaient de son front sur ses longues joues maigres, et sa figure était tellement pâle qu’on aurait dit qu’il allait rendre l’âme. Quatre ou cinq de ses anciens camarades du temps de la République : le père Desmarets, le père Nivoi, le vieux Paradis, le grand Froissard, étaient arrivés pour le consoler. Ils se tenaient autour de lui dans le plus grand silence, fumant des pipes et faisant des mines désolées.

De temps en temps l’un ou l’autre disait :

« Allons, Féral, allons, est-ce que nous ne sommes plus des anciens de l’armée de Sambre-et-Meuse ? »

Ou bien :

« Du courage, Porte-Drapeau, du courage !… Est-ce que nous n’avons pas enlevé la grande batterie de Fleurus au pas de course ? »

Ou quelque autre chose de semblable.

Mais il ne répondait rien ; seulement, de minute en minute, il soupirait, ses vieilles joues creuses se gonflaient, puis il se penchait et