Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/60

Cette page n’a pas encore été corrigée

Je montai chez M. le commandant de place. En entrant dans son salon, je le vis qui déjeunait. C’était un homme déjà vieux, mais solide, la face rouge et de bon appétit.

« Ah ! c’est toi ! fit-il ; M. Goulden ne vient donc pas ?

— Non, monsieur le commandant, il est malade à cause des mauvaises nouvelles.

— Ah ! bon… bon… je comprends ça, fit-il en vidant son verre ; oui, c’est malheureux. »

Et tandis que je levais le globe de la pendule, il ajouta :

« Bah ! tu diras à M. Goulden que nous aurons notre revanche… On ne peut pas toujours avoir le dessus, que diable ! Depuis quinze ans que nous les menons tambour battant, il est assez juste qu’on leur laisse cette petite fiche de consolation… Et puis l’honneur est sauf, nous n’avons pas été battus : sans la neige et le froid, ces pauvres Cosaques en auraient vu des dures… Mais un peu de patience, les cadres seront bientôt remplis, et alors gare ! »

Je remontai la pendule ; il se leva et vint regarder, étant grand amateur d’horlogerie. Il me pinça l’oreille d’un air joyeux ; puis, comme j’allais me retirer, il s’écria en reboutonnant sa grosse capote, qu’il avait ouverte pour manger :