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heure… on te prendra. » Mais je savais bien ce que cela voulait dire, et j’attirai Zébédé dans mes bras pour le serrer. Je lui dis à l’oreille : « Ecoute, tu embrasseras Catherine pour moi… tu me le promets !… Tu lui diras que je suis mort en l’embrassant et que tu lui portes ce baiser d’adieu ! — Oui… fit-il en sanglotant tout bas, oui… je lui dirai !… — Ô mon pauvre Joseph ! » Je ne pouvais plus le lâcher ; il me posa lui-même à terre et s’en alla bien vite sans tourner la tête. La colonne s’éloignait… je la regardai longtemps, comme on regarde la dernière espérance de vie qui s’en va. Les traînards du bataillon entrèrent dans un pli de terrain… Alors je fermai les yeux, et seulement une heure après, ou même plus longtemps, je me réveillai au bruit du canon, et je vis une division de la garde passer sur la route au pas accéléré, avec des fourgons et de l’artillerie. Sur les fourgons, j’apercevais quelques malades et je criais : « Prenez-moi !… Prenez-moi !… » Mais personne ne faisait attention à mes cris… on passait toujours… et le bruit de la canonnade augmentait. Plus de dix mille hommes