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il faut maintenant que je raconte les misères de la retraite, et voilà ce qui me paraît le plus pénible. On dit que la confiance donne la force, et c’est vrai surtout pour les Français. Tant qu’ils marchent en avant, tant qu’ils espèrent la victoire, ils sont unis comme les doigts de la main, la volonté des chefs est la loi de tous ; ils sentent qu’on ne peut réussir que par la discipline. Mais aussitôt qu’ils sont forcés de reculer, chacun n’a plus de confiance qu’en soi-même, et l’on ne connaît plus le commandement. Alors ces hommes si fiers — ces hommes qui s’avançaient gaiement à l’ennemi pour combattre —, s’en vont les uns à droite, les autres à gauche, tantôt seuls, tantôt en troupeaux. Et ceux qui tremblaient à leur approche s’enhardissent ; ils avancent d’abord avec crainte, ensuite, voyant qu’il ne leur arrive rien, ils deviennent insolents. Ils fondent sur les traînards à trois ou quatre pour enlever, comme on voit les corbeaux, en hiver, tomber sur un pauvre cheval abattu, qu’ils n’auraient pas osé regarder d’une demi-lieue lorsqu’il marchait encore. J’ai vu ces choses… J’ai vu de misérables Cosaques — de véritables mendiants, avec de vieilles guenilles pendues aux reins, un vieux bonnet