Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/334

Cette page n’a pas encore été corrigée

du pont, et, cherchant à se retenir, en entraînait cinq ou six par grappes ! Et comme la confusion, les hurlements, la fusillade, le clapotement de ceux qui tombaient augmentaient de seconde en seconde, comme ce spectacle devenait tellement abominable, qu’on aurait cru qu’il ne pouvait rien arriver de pire… voilà qu’une espèce de coup de tonnerre part, et que la première arche du pont s’écroule avec tous ceux qui se trouvaient dessus : des centaines de malheureux disparaissaient, des masses d’autres sont estropiés, écrasés, mis en lambeaux par les pierres qui retombent. Un sapeur du génie venait de faire sauter le pont ! Â cette vue, le cri de trahison retentit jusqu’au bout des promenades : « Nous sommes perdus !… trahis !… » On n’entendait que cela… c’était une clameur immense, épouvantable. Les uns, saisis de la rage du désespoir, retournent à l’ennemi comme des bêtes fauves acculées, qui ne voient plus rien et qui n’ont plus que l’idée de vengeance ; d’autres brisent leurs armes, en accusant le ciel et la terre de leur malheur. Les officiers à cheval, les généraux sautent dans la rivière pour traverser à la nage ; bien des soldats font comme eux, ils se