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je m’approchai d’une fenêtre de derrière, et je vis qu’elle donnait dans une cour, et que cette cour n’avait de porte que sur le devant. Je me figurais que les Autrichiens, après tout le mal que nous venions de leur faire, nous passeraient au fil de la baïonnette ; c’était assez naturel. En songeant à cela, je rentrai dans la chambre où nous étions une dizaine, et j’aperçus le sergent Pinto assis tout pâle contre le mur, les bras pendants. Il venait de recevoir une balle dans le ventre, et disait au milieu de la fusillade : « Défendez-vous, conscrits, défendez-vous !… Montrez à ces Kaiserlicks que nous valons encore mieux qu’eux !… Ah ! les brigands ! » En bas, contre la porte, retentissaient comme des coups de canon. Nous tirions toujours, mais sans espoir, lorsqu’il se fit dehors un grand bruit de piétinement de chevaux. Le feu cessa, et nous vîmes, à travers la fumée, quatre escadrons de lanciers passer comme une bande de lions au milieu des Autrichiens. Tout cédait. Les Kaiserlicks allongeaient les jambes : mais les grandes lances bleuâtres, avec leurs flammes rouges, filaient plus vite qu’eux et leur entraient dans le dos comme des flèches. Ces lanciers étaient des Polonais, les plus terribles soldats que j’aie vus de ma vie, et pour dire les choses