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de Mockern, qui nous prenait en écharpe et nous empêchait de les poursuivre trop loin. Cela dura jusqu’à deux heures ; la moitié de nos officiers étaient hors de combat ; le commandant Gémeau était blessé, le colonel Lorain tué, et tout le long de la rivière on ne voyait que des morts entassés et des blessés qui se traînaient pour sortir de la bagarre ; quelques-uns, furieux, se relevaient sur les genoux pour donner encore un coup de baïonnette ou lâcher un dernier coup de fusil. On n’a jamais rien vu de pareil. Dans la rivière nageaient les morts à la file, les uns montrant leur figure, les autres le dos, d’autres les pieds. Ils se suivaient comme des flottes de bois, et personne n’y faisait seulement attention. On aurait dit que la même chose ne pouvait pas nous arriver d’une minute à l’autre. Ce grand carnage se passait tout le long de la Partha, depuis Schoenfeld jusqu’à Grossdorf. Les Suédois et les Prussiens finirent par remonter la rivière pour nous tourner plus haut, et des masses de Russes vinrent remplacer ces Prussiens, qui n’étaient pas fâchés d’aller voir ailleurs. Les Russes se formèrent sur deux colonnes ; ils descendirent au ravin l’arme au bras, dans un ordre admirable, et nous donnèrent l’assaut