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qui se traînait sur cette eau sombre entre les collines, le sifflement des balles, le pétillement de la fusillade faisaient ressembler ce ravin à un four, où s’engouffraient les hommes comme des bûches pour être consumés. Nous, c’était le désespoir qui nous poussait, la rage de nous venger avant de mourir ; les Prussiens, c’était l’orgueil de se dire : « Nous allons vaincre Napoléon cette fois ! » Ces Prussiens sont les plus orgueilleux des hommes ; leurs victoires de Gross-Beeren et de la Katzbach les avaient rendus comme fous. Mais il en resta dans la rivière… oui, il en resta ! Trois fois, ils passèrent l’eau et coururent sur nous en masse. Nous étions bien forcés de reculer, à cause de leur grand nombre, et quels cris ils poussaient alors ! On aurait dit qu’ils voulaient nous manger.. C’est une vilaine race… Leurs officiers, l’épée en l’air entre les baïonnettes serrées, répétaient cent fois : « Forwertz ! Forwertz ! » et tous s’avançaient comme un mur, avec grand courage, on ne peut pas dire le contraire. Nos canons les fauchaient, ils avançaient toujours ; mais en haut de la colline nous reprenions un nouvel élan et nous les bousculions jusque dans la rivière. Nous les aurions tous massacrés sans une de leurs batteries, en avant