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du pain, et nous reçûmes aussi de l’eau-de-vie et de la viande. La pluie avait cessé. Nous fîmes la soupe en cet endroit ; mais rien ne pouvait me réchauffer ; c’est là que j’attrapai les fièvres. J’avais froid à l’intérieur et mon corps brûlait. Je n’étais pas le seul au bataillon dans cet état, les trois quarts souffraient et dépérissaient ainsi ; depuis un mois, ceux qui ne pouvaient plus marcher s’étendaient par terre en pleurant, et appelaient leur mère comme de petits enfants. Cela vous déchirait le cœur. La faim, les marches forcées, la pluie et le chagrin de savoir qu’on ne reverra plus son pays ni ceux qu’on aime, vous causaient cette maladie. Heureusement, les parents ne voient pas leurs enfants périr le long des routes ; s’ils les voyaient, ce serait trop terrible : bien des gens croiraient qu’il n’y a de miséricorde ni sur la terre ni dans le ciel. Â mesure que le jour montait, nous découvrions à gauche — de l’autre côté de la rivière et d’un grand ravin rempli de saules et de trembles —, les villages brûlés, les tas de morts, les caissons et les canons renversés, et la terre ravagée aussi loin que pouvait s’étendre la vue sur les routes de Hall, de Lindenthal et de Dolitzch : c’était pire qu’à Lutzen. Nous voyions aussi