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tristes. Quelques instants après, Zébédé me demanda : « Te rappelles-tu, Joseph, le ruban noir qu’il avait à son chapeau le jour de la conscription ? Il criait : « Nous sommes tous condamnés à mort comme ceux de la Russie… Je veux un ruban noir.. il faut porter notre deuil ! » Et son petit frère disait : « Non, Jacob, je ne veux pas ! » Il pleurait ; mais Klipfel mit tout de même le ruban : il avait vu les hussards dans un rêve ! » Â mesure que Zébédé parlait, je me rappelais ces choses, et je voyais aussi ce gueux de Pinacle sur la place de l’Hôtel-de-Ville, qui me criait, en agitant un ruban noir au-dessus de sa tête : « Hé ! boiteux, il te faut un beau ruban, à toi… le ruban de ceux qui gagnent… Arrive ! » Cette idée, avec le froid terrible qui m’entrait jusque dans la moelle, me faisait frémir. Je pensais : « Tu n’en reviendras pas… Pinacle avait raison… C’est fini ! » Je songeais. à Catherine, à la tante Grédel, au bon M. Goulden, et je maudissais ceux qui m’avaient forcé de venir là. Sur les quatre heures du matin, comme le jour commençait à blanchir le ciel, quelques voitures de vivres arrivèrent ; on nous fit la distribution