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jurant comme un possédé ; et comme il relevait le bras pour l’achever, je lui enfonçai ma baïonnette dans le côté de toutes mes forces. Mais en même temps, l’autre hussard me donnait sur l’épaule un coup qui m’aurait fendu en deux sans l’épaulette ; il allait me percer, si, par bonheur, un coup de fusil d’en haut ne lui avait cassé la tête. Je regardai, et je vis un de nos soldats enfoncé dans la terre glaise jusqu’à mi-jambes. Il avait entendu les hennissements des chevaux et les jurements des hussards, et s’était avancé jusqu’au bord du trou pour voir ce qui se passait. « Eh bien, camarade, me dit-il en riant, il était temps ! » Je n’avais pas la force de lui répondre ; je tremblais comme une feuille. Il ôta sa baïonnette, et me tendit le bout de son fusil pour m’aider à remonter. Alors je pris la main de ce soldat, et je lui dis : « Vous m’avez sauvé !… Comment vous appelez-vous ? » Il me dit que son nom était Jean-Pierre Vincent. J’ai souvent pensé depuis que, s’il m’arrivait de rencontrer cet homme, je serais heureux de lui rendre service ; mais le surlendemain eut lieu la seconde bataille de Leipzig, ensuite la retraite de Hanau, et je ne l’ai jamais revu. Le