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lui montrant le bout d’un fusil qui dépassait une grosse broussaille, de l’autre côté de la mare, à cent pas devant nous. Les camarades, s’étant approchés, le virent aussi ; c’est pourquoi le sergent dit à voix basse : « Toi Bertha, reste ici… ne le perds pas de vue. Nous autres, nous allons tourner la position. » Aussitôt ils s’éloignèrent à droite et à gauche, et moi, la crosse à l’épaule, derrière mon arbre, j’attendis comme un chasseur à l’affût. Au bout de deux ou trois minutes, le Prussien, qui n’entendait plus rien, se leva doucement ; il était tout jeune, avec de petites moustaches blondes et une haute taille mince bien serrée. J’aurais pu l’abattre pour sûr ; mais cela me fit une telle impression de tuer cet homme ainsi découvert, que j’en tremblais. Tout à coup il m’aperçut et sauta de côté ; alors je lâchai mon coup, et je respirai de bon cœur en voyant qu’il se sauvait à travers le taillis comme un cerf. En même temps, cinq ou six coups de fusil partirent à droite et à gauche ; le sergent Pinto, Zébédé, Klipfel et les autres passèrent d’un trait, et cent pas plus loin, nous trouvâmes ce jeune Prussien par terre, la bouche pleine de sang. Il nous regardait tout effrayé, en levant le bras comme pour parer les coups de baïonnette. Le sergent lui dit d’un air joyeux : «