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en tirailleurs. Nous étions échelonnés à vingt-cinq pas l’un de l’autre, et nous avancions en ouvrant les yeux, comme on peut s’imaginer. Le sergent Pinto disait à chaque minute : « Mettez-vous à couvert ! » Mais il n’avait pas besoin de tant nous prévenir ; chacun dressait l’oreille et se dépêchait d’attraper un gros arbre pour regarder à son aise avant d’aller plus loin. — Â quoi pourtant des gens paisibles peuvent être exposés dans la vie ! Enfin nous marchions ainsi depuis dix minutes, et, comme on ne voyait rien, cela commençait à nous rendre de la confiance, lorsqu’un coup de feu part… puis encore un, puis deux, trois, six, de tous les côtés, le long de notre ligne, et dans le même instant je vois mon camarade de gauche qui tombe en cherchant à se retenir contre un arbre. Cela me réveille… Je regarde de l’autre côté, et qu’est-ce que je découvre à cinquante ou soixante pas ? Un vieux soldat prussien — avec son petit chapeau à chaînette, le coude replié, ses grosses moustaches rousses penchées sur la batterie de son fusil —, qui m’ajuste en clignant de l’œil. Je me baisse comme le vent. Â la même seconde j’entends la détonation, et quelque chose craque sur ma tête ; j’avais mon fourniment, la brosse, le peigne et le mouchoir dans mon shako :