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française en train de faire la soupe au milieu des bruyères, et, tout au loin sur la plaine grise, des pelotons de Cosaques défilant d’un village à l’autre. Quelques tirailleurs, le long du bois, tiraient dessus, mais ils étaient presque hors de portée. « Allons, vous voilà chez vous, jeune homme », me dit Poitevin en souriant. Il devait avoir bon œil, pour lire le numéro du régiment à une pareille distance. Moi, j’avais beau regarder, je ne voyais que des êtres déguenillés et tellement minables, qu’ils avaient tous le nez pointu, les yeux luisants, les oreilles écartées de la tête par le renfoncement des joues. Leurs capotes étaient quatre fois trop larges pour eux ; on aurait dit des manteaux, tant elles formaient de plis sur les bras et le long des reins. Quant à la boue, je n’en parle pas : c’était sinistre. En ce jour, je devais apprendre pourquoi les Allemands paraissaient si joyeux après notre victoire de Dresde. Nous descendions vers deux petites tentes, autour desquelles trois ou quatre chevaux broutaient l’herbe maigre. Je vis là le colonel Lorain, détaché sur la rive gauche de l’Elbe, avec le 3ème bataillon. C’était un grand maigre, les moustaches brunes, et qui n’avait pas l’air doux.