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tous sans rien entendre, à cause du bruit des flots sur la rive et du vent dans les arbres. Mais Poitevin avait l’oreille plus exercée que nous. « On tiraille là-bas, dit-il en nous montrant un bois sur la droite. L’ennemi peut être de notre côté ; tâchons de ne pas donner au milieu. Tout ce que nous avons de mieux à faire, c’est d’entrer sous bois et de poursuivre notre chemin avec prudence. Nous verrons à l’autre bout ce qui se passe… Si les Prussiens ou les Russes sont là, nous battrons en retraite sans qu’ils nous voient. Si ce sont des Français, nous avancerons. » Chacun trouva que le fourrier avait raison, et, dans mon âme, j’admirai la finesse de ce vieil ivrogne. Nous descendîmes donc de la route dans le bois, Poitevin en avant et nous derrière, le fusil armé. Nous marchions doucement, nous arrêtant tous les cent pas pour écouter. Les coups de fusil se rapprochaient ; ils se suivaient un à un, en retentissant dans les ravins. Le fourrier nous dit : « Ce sont des tirailleurs qui observent un parti de cavalerie, car les autres ne répondent pas. » C’était vrai : dix minutes après, nous apercevions entre les arbres un bataillon d’infanterie