Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/267

Cette page n’a pas encore été corrigée

approchions de Wurtzen et la pluie tombait à verse, lorsque le fourrier s’écria pour la vingtième fois : « Oui, Poitevin… voilà l’existence… cela t’apprendra à siffler ! — Quel diable de proverbe avez-vous là, fourrier ? lui dis-je… Je voudrais bien savoir comment la pluie vous apprend à siffler. — Ce n’est pas un proverbe, jeune homme, c’est une idée qui me revient quand je m’amuse. » Puis au bout d’un instant : « Vous saurez, dit-il, qu’en 1806, époque où je faisais mes études à Rouen, il m’arriva de siffler une pièce de théâtre, avec bien d’autres jeunes gens comme moi. Les uns sifflaient, les autres applaudissaient ; il en résulta des coups de poing, et la police nous mit au violon par douzaines. L’Empereur, ayant appris la chose, dit : « Puisqu’ils aiment tant à se battre, qu’on les incorpore dans mes armées ! Ils pourront satisfaire leur goût ! » Et naturellement la chose fut faite ; personne n’osa souffler dans le pays, pas même les pères et mères ! — Vous étiez donc conscrit ? lui dis-je. — Non, mon père venait de m’acheter un remplaçant. C’est une plaisanterie de l’Empereur… une de ces plaisanteries dont on se souvient