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de vue, les nuages gris se traîner sur les champs dépouillés, et quelques maigres corbeaux s’éloigner à tire-d’aile en jetant leur cri mélancolique. Rien de triste comme un pareil spectacle, surtout quand on pense que l’hiver approche, et qu’il faudra bientôt coucher dehors dans la neige. Aussi personne ne disait mot, sauf le fourrier Poitevin. C’était un vieux soldat, jaune, ridé, les joues creuses, le nez rouge, les moustaches longues d’une aune, comme tous les buveurs d’eau-de-vie. Il avait un langage relevé, qu’il entremêlait d’expressions de caserne ; et quand la pluie redoublait, il s’écriait, avec un éclat de rire bizarre : « Oui… Poitevin… oui… cela t’apprendra à siffler !… » Ce vieil ivrogne s’était aperçu que j’avais quelques sous au fond de ma poche ; il se tenait près de moi, disant : « Jeune homme, si votre sac vous gêne, passez-moi ça. » Mais je le remerciais de son honnêteté. Malgré mon ennui d’être avec un homme qui regardait toujours les enseignes d’auberge, lorsque nous traversions un village, et qui disait : « Un petit verre ferait joliment de bien par le temps qui court… » Je ne pus m empêcher de lui payer quelques gouttes, de sorte qu’il ne me quittait plus. Nous