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aubergiste nous aurait fait payer double et triple, en l’honneur de la patrie allemande, si mon camarade n’avait connu le prix des œufs, du lard et du vin, comme le premier Saxon venu. Le soir, quand le soleil se couche derrière les roseaux de l’Elster et de la Pleisse, nous rentrions en ville au chant mélancolique des grenouilles, qui vivent dans ces marais par milliards. Quelquefois nous faisions halte, les bras croisés sur la balustrade d’un pont, et nous regardions les vieux remparts de Leipzig, ses églises, ses antiques masures et son château de Plessenbourg, éclairés en rouge par le crépuscule : la ville s’avance en pointe à l’embranchement de la Pleisse et de la Partha, qui se rencontrent au-dessus. Elle est en forme d’éventail ; le faubourg de Hall se trouve à la pointe, et les sept autres faubourgs forment les branches de l’éventail. Nous regardions aussi les mille bras de l’Elster et de la Pleisse, croisés comme un filet entre les îles déjà sombres, tandis que l’eau brillait comme de l’or, et nous trouvions cela très beau. Mais, si nous avions su qu’il nous faudrait un jour traverser ces rivières sous le canon des ennemis, après avoir perdu la plus terrible et la