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le chirurgien venait passer la visite, et, quand vous étiez remis, vous receviez une feuille de route pour aller rejoindre votre corps. On peut s’imaginer la position de douze à quinze cents pauvres diables, habillés de capotes grises à boutons de plomb, coiffés de gros shakos en forme de pots de fleurs, et chaussés de souliers usés par les marches et les contremarches, pâles, minables, et la plupart sans le sou, dans une ville riche comme Leipzig. Nous ne faisions pas grande figure parmi ces étudiants, ces bons bourgeois, ces jeunes femmes riantes, qui, malgré toute notre gloire, nous regardaient comme des va-nu-pieds. Toutes les belles choses que m’avait racontées mon camarade rendaient cette situation encore plus triste pour moi. Il est vrai que dans le temps on nous avait bien reçus ; mais nos anciens ne s’étaient pas toujours honnêtement conduits avec les gens qui les traitaient en frères, et maintenant on nous fermait la porte au nez. Nous étions réduits à contempler du matin au soir les places, les églises et les devantures des charcutiers, qui sont très belles en ce pays. Nous cherchions toutes sortes de distractions ; les vieux jouaient à la drogue, les jeunes au bouchon. Nous avions aussi, devant la caserne,