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trois ou quatre grandes routes blanches, qui traversent des plaines de blé, d’orge, d’avoine, de plantations de houblon, enfin tout ce qu’il est possible de se figurer d’agréable et de riche, principalement quand le vent donne dessus, et que toutes ces moissons se penchent et se relèvent au soleil. La chaleur du mois de juin annonçait une bonne année. Souvent, en voyant ce beau pays, je pensais à Phalsbourg, et je me mettais à pleurer. Zimmer me disait : « Je voudrais bien savoir pourquoi diable tu pleures, Joséphel ? Au lieu d’avoir attrapé la peste d’hôpital, d’avoir perdu le bras ou la jambe, comme des centaines d’autres, nous voilà tranquillement assis sur un banc à l’ombre; nous recevons du bouillon, de la viande et du vin; on nous permet même de fumer, quand nous avons du tabac, et tu n’es pas content ? Qu’est-ce qui te manque ? » Alors je lui parlais de mes amours avec Catherine, de mes promenades aux Quatre-Vents, de nos belles espérances, de nos promesses de mariage, enfin de tout ce bon temps qui n’était plus qu’un songe. Il m’écoutait en fumant sa pipe. « Oui, oui, disait-il, c’est triste tout de même. Avant la conscription de 1798, je devais aussi me