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de tabac, et dit quelques mots brusquement. L’officier qui galopait à côté de la portière se pencha pour lui répondre. Il prit sa prise et tourna le coin, pendant que les cris redoublaient et que le canon tonnait.

Voilà tout ce que je vis.

L’Empereur ne s arrêta pas à Phalsbourg ; tandis qu’il courait déjà sur la route de Saverne, le canon tirait ses derniers coups. Puis le silence se rétablit. Les hommes de garde à la porte de France relevèrent le pont, et le vieil horloger me dit :

« Tu l’as vu ?

— Oui, monsieur Goulden.

— Eh bien, fit-il, cet homme-là tient notre vie à tous dans sa main ; il n’aurait qu’à souffler sur nous et ce serait fini. Bénissons le Ciel qu’il ne soit pas méchant, car sans cela le monde verrait des choses épouvantables, comme du temps des rois sauvages et des Turcs. »

Il semblait tout rêveur ; au bout d’une minute, il ajouta :

« Tu peux te recoucher ; voici trois heures qui sonnent. »

Il rentra dans sa chambre, et je me remis dans mon lit. Le grand silence qu’il faisait dehors me paraissait extraordinaire après tout ce tumulte, et jusqu’au petit jour je ne cessai point de rêver à l’Empereur.