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sur les arbres, et partout, partout on rencontrait la trace des boulets ! Â la dernière maison, un vieillard tout blanc, assis sur le seuil de sa demeure en ruine, tenait entre ses genoux un petit enfant; il nous regarda passer, morne et sombre. Nous voyait-il ? Je n’en sais rien; mais son front sillonné de grandes rides et ses yeux ternes annonçaient le désespoir. Que d’années de travail, que d’économies et de souffrances il lui avait fallu pour assurer le repos de sa vieillesse ! Maintenant tout était anéanti... l’enfant et lui n’avaient plus une tuile pour abriter leur tête !... Et ces grandes fosses d’une demi-lieue — où tous les gens du pays travaillent à la hâte pour empêcher la peste d’achever la destruction du genre humain -, je les ai vues aussi du haut de la colline de Kaya, et j’en ai détourné les yeux avec horreur ! Oui, j’ai vu ces immenses tranchées dans lesquelles on enterre les morts : Russes, Français, Prussiens, tous pêle-mêle,- comme Dieu les avait faits pour s’aimer avant l’invention des plumets et des uniformes, qui les divisent au profit de ceux qui les gouvernent. Ils sont là... ils s’embrassent... et si quelque chose revit en eux, ce qu’il faut bien espérer, ils s’aiment et ils se pardonnent, en maudissant