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de nous enlever, nous faisaient boire encore un bon coup. Dès qu’une voiture était pleine, elle partait en avant, et une autre s’avançait. J’étais sur la troisième, assis dans la paille, au premier rang, à côté d’un conscrit du 27ème qui n’avait plus de main droite; derrière, un autre manquait d’une jambe, un autre avait la tête fendue, un autre la mâchoire cassée, ainsi de suite jusqu’au fond. On nous avait rendu nos grandes capotes, et nous avions tellement froid, malgré le soleil, qu’on ne voyait que notre nez, notre bonnet de police, ou le bandeau de linge au-dessus des collets. Personne ne parlait; on avait bien assez à penser pour soi-même. Par moments, je sentais un froid terrible, puis tout à coup des bouffées de chaleur qui m’entraient jusque dans les yeux : c’était le commencement de la fièvre. Mais en partant de Kaya, tout allait encore bien, je voyais clairement les choses, et ce n’est que plus tard, du côté de Leipzig, que je me sentis tout à fait mal. Enfin, on nous chargea donc de la sorte : ceux qui pouvaient encore se tenir, assis dans les premières voitures, les autres étendus dans les dernières, et nous partîmes. Les hussards, à