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en considération de mes souffrances.

Comme la rosée était forte, elle finit par emplir le petit ruisseau. De temps en temps on entendait un mur tomber dans le village, un toit s’affaisser ; les animaux, effarouchés par la bataille, reprenaient confiance et sortaient au petit jour : une chèvre bêlait dans l’étable voisine ; un grand chien de berger, la queue traînante, passa regardant les morts ; le cheval, en le voyant, se mit à souffler d’une façon terrible ; il le prenait peut-être pour un loup, et le chien se sauva.

Tous ces détails me reviennent, parce qu’au moment de mourir on voit tout, on entend tout ; on se dit en quelque sorte : « Regarde… écoute… car bientôt tu n’entendras et tu ne verras plus rien en ce monde. »

Mais ce qui m’est resté bien autrement dans l’esprit, ce que je ne pourrais jamais oublier, quand je vivrais cent ans, c’est lorsqu’au loin je crus entendre un bruit de paroles. Oh ! comme je me réveillai… comme j’écoutai… et comme je me levai sur mon bras pour crier : « Au secours ! » Il faisait encore nuit, et pourtant un peu de jour pâlissait déjà le ciel ; tout au loin, à travers la pluie qui rayait l’air, une lumière marchait au milieu des champs, elle allait