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terre, la giberne et le sac au dos, la main cramponnée au fusil. Je voyais cela d’une façon effrayante, mes dents en claquaient d’épouvante.

Je voulus appeler au secours ; j’entendis comme un faible cri d’enfant qui sanglote, et je m’affaissai de désespoir. Mais ce faible cri que j’avais poussé dans le silence en éveillait d’autres de proche en proche, cela gagnait de tous les côtés : tous les blessés croyaient entendre arriver du secours, et ceux qui pouvaient encore se plaindre appelaient. Ces cris durèrent quelques instants, puis tout se tut, et je n’entendis plus qu’un cheval souffler lentement près de moi, derrière la haie. Il voulait se lever, je voyais sa tête se dresser au bout de son long cou, puis il retombait.

Moi, par l’effort que je venais de faire, ma blessure s’était rouverte, et je sentais de nouveau le sang couler sous mon bras. Alors je fermai les yeux pour me laisser mourir, et toutes les choses lointaines, depuis le temps de ma première enfance, — les choses du village, lorsque ma pauvre mère me tenait dans ses bras et qu’elle chantait pour m’endormir, la petite chambre, la vieille alcôve, notre chien Pommer, qui jouait avec moi et me roulait à terre, le père qui rentrait le soir tout joyeux, la